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L'avis de ceux qui ont déposé une convention d’occupation précaire

Publié par NDDL41 sur 18 Juin 2018

/// A Propos de la signature des COP

Communiqué d’habitant.e.s de la zad de Notre-dame-des-landes du 6 juin
2018

Après plusieurs semaines extrêmement éprouvantes, tant par la brutalité
dont ont fait preuve les forces de l’ordre, que par la destruction de
nos lieux et les tensions internes, il est aujourd’hui difficile d’avoir
une vision claire de l’état du mouvement pour la défense de la ZAD. Ce
texte a pour objectif de faire un point d’étape concernant l’autodéfense
administrative, en montrer la complexité, et amener des clés de lecture
pour la suite, sans pour autant prétendre dissiper les doutes qui nous
traversent actuellement.

-- T’as pas une cop ?

Après l’abandon de l’aéroport, comme nous en discutions depuis des
années en prévision de cette possibilité, une tentative de négociation
avec l’État pour obtenir la gestion collective des terres a été amorcée.
Une délégation issue de l’AG des usages, composée de membres des
différentes composantes, a été mise en place. La Préfète a d’abord
indiqué qu’elle se poserait en tant qu’arbitre dans des négociations
entre cette délégation et le comité de pilotage1. Ce dernier étant une
instance traitant uniquement des enjeux agricoles de la ZAD, nous ne
voulions pas laisser de côté de nombreuses autres problématiques
relatives à ce territoire : l’habitat, les questions naturalistes, la
diversité des usages... Il fut donc hors de question de prendre place à
sa table, d’autant plus que seule une partie des composantes du
mouvement anti-aéroport y était conviée aux côtés de à la Chambre
d’agriculture, la FNSEA et consorts. Nous ne connaissons que trop bien
leurs positions sur les questions foncières et leurs conséquences pour
imaginer parler avec eux de l’avenir dans le bocage. Notre seul
interlocuteur devant être la Préfecture, nous avons donc obtenu un cadre
bilatéral de négociation.

Ce cadre ainsi posé, la volonté du mouvement a d’abord été d’arracher
une seule convention d’occupation précaire (COP) collective pour
l’ensemble des habitats et terres occupées. Le gouvernement opposa que
la seule option, sans alternative possible, était la signature de COP
individuelles. Chacun refusa la proposition de l’autre, laissant place
le 9 avril à la plus grande opération militaire de maintien de l’ordre
en métropole depuis cinquante ans. Dans un contexte d’avancée rapide des
forces de l’ordre, et bien que celles-ci se soient heurtées à la
détermination générale sur le terrain, il a semblé à certain.e.s d’entre
nous, comme c’était le cas depuis le début de cette lutte, que la
défense de la zad ne pouvait pas être pensée uniquement sur le plan de
l’affrontement direct. Chacun.e cherchant à trouver un moyen de sortir
du rapport frontal, le gouvernement, par l’intermédiaire de la
Préfecture, a brandi une nouvelle carte : « les formulaires individuels
simplifiés » pour les activités ayant cours sur la ZAD. Nous avons
décidé d’étudier cette possibilité, non pas parce que, soudainement, une
régularisation individuelle soit devenue ce vers quoi nous inclinions
ensemble politiquement, mais parce que dans ce contexte là, il nous a
semblé dangereux de refuser cette proposition et de s’enterrer dans un
conflit que nous n’étions pas en mesure de gagner militairement au vue
du dispositif déployé. Nous avons choisi à la fois d’exploiter
collectivement les brèches de cette proposition et de gagner du temps
pour contrecarrer les vues du gouvernement. Nous avons alors tenté en
quelques jours de déplacer le cadre qui voulait restreindre la vie sur
la ZAD à des « projets agricoles individuels » en déposant un dossier
collectif.

La Préfète s’imaginait sans doute que seules cinq ou six personnes ayant
déjà des activités agricoles « viables » s’engageraient dans ce
processus. Mais les fonctionnaires de la DDTM (Direction Départementale
des Territoires et de la Mer) ont dû s’arracher les cheveux face à une
quarantaine de fiches, incluant des projets artisanaux, culturels ou
autre, où chaque activité, chaque parcelle, était entremêlée aux autres,
à l’image de tout ce que nous partageons et avons construit depuis des
années.

Plusieurs rendez-vous entre la Préfecture, la DDTM et la délégation
intercomposantes ont ensuite eu lieu. Nous y avons appris que les
projets non-agricoles ne seraient pas traités, n’étant pas du ressort de
la DDTM et surtout ne correspondant pas à la priorité des institutions,
focalisées sur la question agricole.

Concernant les projets agricoles (et donc une grande partie des terres
occupées à l’exception des zones boisées), les services de la DDTM,
après avoir démêlé les superpositions d’usages sur les parcelles et les
interdépendances, ont décidé de les classer en trois catégories : ceux
qui étaient immédiatement éligibles à une COP, ceux sur des terres
conflictuelles, et ceux ne rentrant pas encore dans leurs critères
d’éligibilité. La préfecture poursuivant son refus de signer une COP
globale unique couvrant l’ensemble de ces projets, nous avons alors
bataillé pour qu’un maximum soient éligibles à la signature d’une COP
dès le COPIL du 14 mai (initialement prévu le 6 juin).

La DDTM a indiqué qu’il était nécessaire pour elle de rencontrer
individuellement chaque porteur/euse de projet avant cette date. Afin de
maintenir l’avancée collective et de ne pas laisser à la Préfecture la
possibilité d’exercer des pressions individuelles à la signature des
COP, la délégation commune a exigé que ces rencontres se fassent par
groupes, et en présence de ses membres. Le 8 mai, une journée de
préparation commune a été organisée, où les différentes personnes
amenées à présenter les activités, regroupées par îlots géographiques2,
se sont coordonnées et entraînées à se défendre collectivement face à
des bureaucrates factices. Le 9 mai, une cinquantaine de personnes,
renforcées par l’exercice collectif de la veille, ont pris leurs
quartiers au pied de la sinistre tour de la DDTM, installant tables,
bancs, jeux d’extérieur et dégustant galettes de blé noir sur des airs
d’accordéon. Réunis par îlots et accompagnés de paysans-parrains et
membres de la délégation, ensemble, les représentant.e.s de chaque
projet sont allé.e.s rencontrer deux bureaucrates de la Préfecture et de
la DDTM, arborant tout.te.s un maillot réalisé par l’atelier de
sérigraphie du Haut-Fay, sur lequel on pouvait lire : « La zad la joue
collective ». Au fil de la journée, plusieurs projets jusqu’alors non
éligibles à une COP, le sont devenus grâce à nos équipes prêtes à la
joute verbale. Le soir même lors d’un Comité Professionnel3, puis le 14
mai devant le COPIL, la DDTM a présenté notre dossier. Il a suscité la
colère des organisations agricoles et élu.e.s arguant que l’État nous
facilitait les procédures officielles d’installation agricole.

Finalement, quinze projets ont été retenus. Quatre ont été déclarés non
éligibles à la COP car se situant sur des terres dites « conflictuelles
» : celui près de la Noë Verte, les deux projets sur la ferme de
Saint-Jean-du-Tertre et un projet à la Wardine. Les parcelles jugées
conflictuelles par la DDTM sont celles que nous occupons et cultivons
mais pour lesquelles des agriculteurs "cumulards" ont déjà des COP en
cours jusqu’en décembre. Ceux- ci sont les exploitants ayant cédé leurs
terres à AGO VINCI et donc encaissé les indemnisations tout en
continuant à cultiver et/ou toucher les aides PAC sur les terrains mis à
leur disposition par le biais de COP annuelles. À plusieurs reprises,
dans le cadre de la lutte contre l’aéroport, nous avons décidé d’occuper
et cultiver une partie de ces terres pour permettre l’installation de
nouvelles activités. A ce jour la Préfecture refuse de se mouiller en
tranchant entre les deux visions agricoles qui s’opposent, optant pour
un traitement au cas par cas, à l’amiable. Les projets situés sur ces
terres ne peuvent donc pas avoir de COP pour le moment, leur situation
sera revue à l’automne. Deux autres projets ont été écartés sous le
prétexte qu’ils n’ont pas encore d’existence matérielle : le projet
d’héliciculture (les escargots) sur les terres de la Grée et la ferme
auberge à la Sécherie. La semaine dernière, en réponse, nous avons lancé
des chantiers pour mettre en œuvre ces projets collectivement, dans le
but de les rendre éligibles à une COP au plus vite.

-- Le bureau d’autodéfense administrative, ou comment continuer ensemble

Ainsi, celles et ceux qui étaient présenté.e.s encore hier comme de
dangereux guérilleros à éradiquer ont eu accès à une partie du foncier
de la ZAD par une procédure exceptionnelle, bien que dans un cadre qui
reste très fragile. Mais il ne faudrait pas s’imaginer que ceux et
celles qui aujourd’hui signent des COP s’assurent ainsi un avenir
personnel, comme on a pu le lire dans certains médias, ou même dans des
textes venant de personnes qui soutiennent depuis des années ce qui se
passe sur la ZAD.

La défense administrative a été pensée dès le début comme une bataille
collective. Les conventions signées par ces quinze « projets » couvrent
environ 170 hectares sur lesquels cabanes, maisons et espaces communs
restants, support matériel à nos diverses luttes, prennent place. La
quasi-totalité des habitats de la ZAD sont concernés à l’exception de
ceux ayant fait le choix de ne pas être couverts par cette stratégie, et
qui ont été visés par la dernière opération d’expulsion les 17 et 18
mai.

Depuis le choix de remplir ces « formulaires simplifiés », un « bureau
d’autodéfense administrative » a été ouvert à la ZAD. Des habitant.e.s
ou des soutiens travaillent ensemble à la consolidation des dossiers, au
partage des informations récoltées ou des doutes qu’elles amènent. On y
actualise des cartes, on y fait des démarches collectivement, on y
décortique les lois locatives, etc. Il y a une rotation des personnes
qui y participent sur la base, bien sûr, du volontariat. Et pour
tou.te.s celles et ceux qui pensent que les services d’État, rodés
depuis des siècles, seront toujours plus efficaces que l’organisation
commune non-hiérarchique, il faut savoir que la DDTM nous a demandé des
délais car leurs fonctionnaires n’arrivaient pas à suivre ! Ce « bureau
», quand il est ouvert, accueille toutes et tous, on peut venir y
demander des éclaircissements, y participer, ou soutenir moralement
celles et ceux qui s’y fatiguent les yeux... Personne ne sera laissé
seul.e face à l’administration, et ce n’est pas parce que des gens ont
engagé leur nom qu’illes seront responsables des démarches à effectuer
par la suite. De la même manière, les décisions ne leur appartiennent
pas strictement concernant les parcelles dont ils seront les usagers
"officiels". Nous voulons que ces terres restent communes, et que leur
usage soit déterminé par le mouvement de lutte.

Bien entendu, la stratégie administrative est une défense menée
conjointement à la confrontation sur le terrain, et sans assignation
binaire à tel ou tel type de barricades, qu’elles soient de pneus ou de
papier. Le bureau a été fermé lors de la deuxième vague d’expulsions
pour permettre à celles et ceux qui y travaillent d’aller défendre la
ZAD physiquement. Ne pas opposer les tactiques a d’ailleurs toujours été
l’apanage de ce mouvement, permettant sa diversité tout autant que son
efficacité des décennies durant.

-- « Kézacop ? »

Le modèle de COP que nous avons signé a été rédigé par le service
juridique de la DDTM. Il est peu ou prou le même que celui signé par les
paysan.ne.s historiques. Il confine l’usage des parcelles couvertes à
une vocation strictement agricole et contient certaines clauses très
contraignantes, dont des astreintes financières sévères en cas de
résiliation de la COP par l’État et de refus de notre part de cesser nos
activités. Cette convention, valide jusqu’au 31 décembre 2018, n’est pas
tacitement reconductible. Une des tâches du bureau a été d’en
décortiquer les articles, pour chercher des faiblesses exploitables en
vue de négocier des modifications, rôle porté par la délégation lors des
rendez-vous à la Préfecture et à la DDTM.

On est en droit de se poser la question de la pertinence de signer ces
conventions. De nombreuses discussions ont eu lieu, les doutes et les
incertitudes existent. Si nous avons ensemble pris le risque de les
signer c’est parce que nous nous sommes engagé.e.s ensemble à en déjouer
les clauses les plus problématiques. Nous considérons ces signatures
comme un pari à partir duquel il nous faudra continuer à batailler pour
obtenir une gestion des terres collective et pérenne.

En premier lieu, il a été décidé de ne signer que si la Préfecture
s’engageait par écrit à proposer au prochain COPIL les dossiers pour
l’instant écartés (les terres conflictuelles et les projets « non
aboutis »), de manière à ce qu’ils puissent eux aussi prétendre à une
COP à l’automne. En second lieu, cette signature doit prolonger notre
volonté de nous tenir collectivement dans ce pari risqué, c’est à dire
de continuer collectivement la défense administrative tout en ayant la
capacité à se mobiliser largement sur le terrain à divers niveaux. Nous
savons que rien ne sera offert par le gouvernement et qu’il s’agit
encore et toujours d’un rapport de forces. Enfin, par ce geste collectif
de signature, nous empêchons les cumulards de se positionner sur les
terres que l’occupation sans titre nous a permis d’arracher à la
redistribution par la Chambre d’Agriculture au fil des années.

-- Perspectives

Les COP prennent fin au 31 décembre, mais leur renouvellement éventuel
sera discuté en automne lors du prochain COPIL. Les projets pourraient
alors être mis en concurrence avec d’autres, dont ceux des cumulards par
exemple. Deux visions du monde et du rapport à la terre s’y
confronteront : d’un côté une production partagée visant à nourrir des
mouvements de lutte, et de l’autre une vision économique peu soucieuse
de la nature ; d’un côté un bocage vivant habité d’une diversité de
personnes et d’activités (sociales, culturelles, artisanales,
agricoles), de l’autre une campagne consacrée à des exploitations
agricoles et à une fonction de dortoir pour urbains ; d’un côté un soin
porté au lien avec ce qui nous entoure, de l’autre une agriculture
industrielle qui en fait fi. Nous pourrions continuer cette liste
indéfiniment...

Plusieurs voies s’offrent à nous dans cette idée de gestion collective
et pérenne, parmi lesquelles la conclusion d’un bail emphytéotique
collectif ou l’achat commun des terres. En attendant, d’autres étapes
sont à franchir, particulièrement à l’heure où l’État affirme vouloir
vendre les terres à l’amiable au Conseil Départemental dans les mois à
venir. Il n’est pas tenable que le président du Conseil Départemental,
Philippe Grosvalet, qui pendant des années a été l’un des plus virulents
porteurs du projet d’aéroport, puisse racheter les terres de la ZAD
qu’il voulait faire disparaître sous le tarmac.

- Concernant les habitats toujours debout, la vigilance est de mise,
leur inexpulsabilité restant relative. La DDTM a martelé lors des
différents RDV avec la délégation qu’il y a toujours trop d’habitats
dispersés, y compris sur les terres sur lesquelles nous avons déclaré
des activités, et que cette question devra se régler directement avec
les communes. Dans le but de déjouer leur stratégie qui considère
aujourd’hui uniquement l’aspect agricole de la ZAD, nous avons également
déposé un dossier de demandes de conventions pour les habitations,
inculant des habitant.e.s historiques qui sont à l’heure actuelle
toujours sans droits ni titre et donc sans garanties pour la suite.

- Une bataille parallèle sur les bois et forêts est également à mener :
si l’ONF ne s’est pas encore prononcé sur sa volonté concernant la
gestion des terres forestières de la ZAD, un gros syndicat de
groupements forestiers privés lorgne sur ces parcelles. De la même
manière que pour les terres agricoles, nous allons continuer à lutter
pour que ces espaces restent dans un usage collectif et autant que
possible non-marchand.

- Pour les projets artisanaux, culturels et sociaux, qui font autant
partie de nos vies que nos activités agricoles, nous n’avons toujours
pas de calendrier.

Le rapport au monde que l’on défend ne rentrera jamais, ni dans le cadre
étatique, ni dans une fiche. C’est pourquoi nous devrons toujours
batailler pour lui, comme nous avons bataillé hier contre le bétonnage.
Face à ce monde, la nécessité de rester une zone en lutte est toujours
aussi criante, et c’est tant mieux. Bien qu’il n’y aura pas d’aéroport
dans ce bocage, nous devons continuer à nous battre contre le monde qui
le voulait : contre les contrôles imposés par les cadres agricoles
classiques et l’agrandissement des exploitations, contre un aménagement
du territoire en métropoles, contre la destruction du vivant, contre les
inégalités criantes de ce monde, etc., et qu’ainsi, notre avenir commun
dans ce bocage prenne une nouvelle ampleur.

Des habitant.e.s de la zad ayant fait le pari des COP

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